La Maison du Pastel : 300 ans d’histoire


XVIIIème siècle - A La Flotte d’Angleterre

L’histoire de “la Maison du Pastel” débute avec le XVIIIème siècle, au moment de la grande vogue pour la peinture au pastel. Des artistes tels Quentin de la Tour, Chardin ou La Rosalba contribuent alors à la célébrité du procédé, et les pastels fabriqués à Paris sont renommés dans toute l’Europe. Au cours d’un voyage à Paris entre 1720 et 1726, La Rosalba note dans son journal qu’elle les reconnaît pour les meilleurs.

La Maison du Pastel a plusieurs racines. Commercialement, elle est localisée au XVIIIème siècle sur l’île de la Cité à Paris et exerce sous le nom "A la Flotte d’Angleterre", située en 1719 rue de la Barillerie.


Au cours du XVIIIème siècle, Claude Alexandre Meunier, alors propriétaire de la Maison et installé Quai de l’Horloge, se fait en particulier remarquer pour ses instruments de mesure et de dessin, qu’il fournit d’ailleurs à La Pérouse pour son expédition de 1785.

1795 - 1838 : La Maison Huber

En 1795, le graveur et fabricant de couleurs JJJ Huber est installé Quai de L’Horloge, à l’enseigne "A la Mine de Plomb". Ses mines de plomb et ses aquarelles, dont la qualité égale l’excellence des produits anglais, sont particulièrement appréciées. Au décès de Claude Alexandre Meunier, dont son épouse est la nièce, il reprend son activité.


Sa réputation est telle qu’en 1802, lorsque le chimiste Louis Jacques Thénard découvre comment synthétiser le bleu de cobalt, c’est à Huber qu’il en confie la fabrication.


1838 - 1880 : La Maison Macle

Au décès de JJJ Huber, son fils perpétue son activité avant que la Maison ne soit reprise en 1838 par Séraphin Macle, François Joseph Longchampt et Louis Adolphe Bourniche, sous l’enseigne "Lonchampt, Macle et Cie". Ils continuent de produire des produits d’une excellente qualité au 217 rue Saint-Denis.


Au décès de Longchampt, la maison reste aux seules mains de Séraphin Macle, qui exerce pendant quelque temps au 23 rue Michel Lecomte sous l’enseigne "A la Palette du Corrège", avant de déménager au 4 rue Grenier Saint Lazare, où elle restera jusqu’en 1912.

Associé pendant un temps à Auguste Méreaux, Macle continue alors de proposer une large variété de matériel pour artistes, dont une petite partie est importée et revendue, mais dont la majorité est fabriquée dans ses ateliers. Les médailles qu’il obtient aux expositions de 1849, 1855, 1867 et 1878 attestent de la qualité de ses produits.

Lorsque Séraphin décède en 1870, la Maison Macle est reprise par son frère Ferdinand Adolphe et son gendre Hector Fromont. La même année, ces derniers achètent la maison Drouet-Girault, Successeur de Girault Père, spécialisée dans la fabrication de pastel.


Ils embauchent Jean Joseph Drouet et son épouse Cécile Hélène Girault, qui resteront au sein de la Maison jusqu’à leurs décès vers 1890.

(Cécile Hélène est la fille de François-Pierre Girault, alias Girault Père, fabricant de pastels, et la soeur de Jean-François Alexis Girault, fabricant de pastels lui aussi, qui ouvre vers 1855 sa propre enseigne sous le nom Girault Fils, maison qui perdure encore aujourd’hui sous le même nom)


1880 - 1906 : Henri Roché père reprend la Maison


En 1864, Henri Roché s’installe comme pharmacien rue de Bretagne. Chimiste et biologiste, Médaille d’or de la Société de Pharmacie et de l’Ecole de Pharmacie de Paris, il est aussi grand amateur de peinture. Il découvre la Maison Macle grâce à Louis Pasteur, pastelliste amateur, qu’il a rencontré lors de ses études. Il sympathise avec Drouet et commence à s’intéresser de plus en plus aux fabrications de la rue Grenier Saint Lazare. Il est alors en rapport avec Legros, Whistler à Londres, puis Degas, Chéret, etc. qui l’entretiennent de leurs desiderata quant au pastel : avoir des couleurs solides à la lumière, nombreuses, variées, harmonieuses, lumineuses et d’une adhérence permettant d’éviter la fixation.


Henri Roché est tenté par l’aventure du pastel et rêve d’en faire une technique de peinture inégalée. Sa pharmacie de la rue de Bretagne est en pleine prospérité, mais ne lui fournissant pas suffisamment d’opportunités pour ses goûts de chercheur, il décide de s’en séparer et achète la Maison Macle. Il collabore fructueusement avec Drouet, l’un expliquant ses tours de main, l’autre introduisant des procédés plus scientifiques. En 1879, Henri Roché reste seul à la direction de ce qui devient “La Maison du Pastel”.

Il décide alors d’abandonner la vente des articles autres que le pastel. Ayant commencé avec une centaine de nuances, il propose en 1887 une collection d’environ 500 nuances aux artistes.



Dès lors un essor continu est donné à cette maison. Une clientèle internationale se développe et les pastels "à la Gerbe" Henri Roché sont recherchés pour leurs qualités particulières.

1906 - 1948 : le Dr. Henri Roché (fils) élabore 1650 nuances


À partir de 1906, Henri Roché partage ses travaux et ses recherches avec son fils le Docteur Henri Roché, médecin. Exproprié de la rue Grenier Saint Lazare, il transfère ses ateliers au 20 rue Rambuteau, l’actuelle adresse de “La Maison du Pastel”, en 1912. À l’époque, il a là de vastes ateliers, un laboratoire et un magasin de vente directe aux artistes.

En parallèle avec la fabrication de pastels, le père et le fils publient les « Cahiers de l’Artiste », une série de pamphlets s’intéressant aux domaines qui concernent les peintres : la fixation des tableaux aux pastels, la lutte contre les moisissures, l’encadrement, etc.



À la veille de la première guerre mondiale, plus de 1000 nuances sont proposées aux peintres. Mais pendant la guerre, le Docteur Henri Roché est mobilisé, et les activités de la maison sont interrompues. Lorsqu’en 1920 Henri Roché et son fils se remettent au travail, il y a beaucoup à faire. Henri Roché fils se consacre pour sa part à la fois à son cabinet médical et aux ateliers de son père.

En 1925, Henri Roché père disparaît à l’âge de 88 ans, ayant consacré au pastel jusqu’aux dernières semaines de son existence, et son fils prend la succession de la Maison. Le coût des locaux parisiens devenant trop élevés, le docteur Henri Roché décide en 1930 de délocaliser ses ateliers, tout en gardant un point de vente au 20 rue Rambuteau. Il continue les recherches et la collection générale qu’il propose est d’environ 1650 nuances.


Il est en rapport avec Simon Bussy, Marcel Baschet, Vuillard, Roussel, Gernez, Paul Elie Dubois, Flandrin, Brisgand, Guirand de Scevola, Paul Maze, Henri Buron, Lavrillier, etc. De fréquents entretiens avec tous lui permettent d’améliorer encore la qualité de sa production.

La comtesse Anna de Nouailles dédicace l’un de ses livres de poésie à Henri Roché de la sorte:

"A Monsieur Henri Roché, qui pour le bonheur des peintres et des poètes, a groupé, avec le talent le plus sûr, toutes les nuances de l’univers en ses radieux pastels"

L’artiste anglais Paul Maze (1887-1979), amené à la boutique du Dr. Henri Roché par Vuillard en 1932, décrivit quant à lui sa visite comme ayant été "amené par Dieu à rencontrer Dieu"! (extrait de: Paul Maze @ Albany Fine Art)

En 1937 il présente à l’Exposition Internationale de Paris au Pavillon d’Île de France une collection générale de pastels qui obtient la médaille d’or.


L’intérêt du docteur Henri Roché pour la recherche le pousse par ailleurs à développer de nouveaux produits, toujours en lien avec le pastel. C’est ainsi que naît après dix ans de travaux le « Pastelalo », un médium qui n’est ni de la gouache, ni de la peinture à l’huile, mais qui peut s’étaler avec un pinceau. Ce médium est idéal pour la réalisation de fonds ou de bases pour de futures œuvres au pastel, mais peut aussi être utilisé seul. Sont aussi proposées aux artistes des feuilles de papier enduites dont la rugosité en fait un excellent support pour les pastels Roché.


La deuxième guerre mondiale met alors un terme absolu à toute activité. Le Dr. Roché se réfugie avec sa famille dans le sud de la France, où il reconstitue un petit atelier de recherche, tout en reprenant l’exercice de la médecine. Il arrive malgré la guerre à rester en contact avec certains artistes.

Lorsqu’il retrouve ses ateliers en 1946, ceux-ci ont été pillés, occupés par les Allemands, puis bombardés par les Alliés à la Libération. Ils sont dans un état si lamentable qu’on peut se demander si “La Maison du Pastel” n’a pas définitivement sombré. Dans un sursaut d’énergie, malgré son âge et un état de santé très éprouvé, il se remet au travail assurant financièrement la remise en activité des ateliers par l’exercice d’un poste médical officiel en Côte d’or pendant que Madame Roché et ses filles retournent en Ile de France pour rouvrir les ateliers.
Le laboratoire, les documents et les échantillons essentiels ont été préservés. Les essais sont réussis et les fabrications reprennent dès que des matières premières de qualité réapparaissent sur le marché.

Dans le cadre des accords d’après-guerre, un prisonnier allemand, Alfred Straub, est assigné à la famille Roché pour une durée d’un an, et aide à la relance de l’activité.


Ayant été très bien accueilli par la famille Roché, Alfred décide de rester une année supplémentaire. Ayant gardé un souvenir ému de son séjour en France, il est encore à ce jour un ami proche de la famille Roché.


1948 - 1975 : Mme Veuve Henri Roché et ses filles soutiennent le renouveau du pastel


Le Docteur Henri Roché décède en 1948, ayant prodigué à sa femme et ses filles toutes les connaissances et le savoir-faire accumulés au cours des générations précédentes. L’entreprise continue alors sous la direction de Mme Roché, qui reste toujours à l’écoute des artistes, afin qu’ils trouvent dans l’exercice de cette technique un matériau de choix pour s’exprimer. A la disparition de Madame Roché en 1975, sa fille aînée Huberte Roché prend la tête de La Maison du Pastel.

Ayant à cœur de poursuivre l’œuvre de son père, elle se consacre entièrement aux pastels Roché, soutenue par ses sœurs Denise et Gisèle. Denise, une artiste très prolifique, joue le plus souvent le rôle de chef d’atelier. Les trois soeurs servent alors ensemble une nouvelle génération d’artistes, qui relancent l’art du pastel: Serge Poliakoff, Jacques Aubelle, François Barbâtre, Claude Bauret-Allard, Pierre Boncompain, Roseline Granet, Catherine Hekking, Jean Le Gac, Pierre-Edouard Maussion, Irving Petlin, Yves Popet, Pierre Skira et Sam Szafran, pour ne citer qu’eux. Tous sont marqués par la personnalité d’Huberte, une grande dame profondément dévouée à « ses » artistes. C’est le cas en particulier pour Sam Szafran, dont l’amitié fidèle et l’amour inconditionnel pour les pastels Roché sont un soutien inestimable pour les trois sœurs lorsque la Maison entre dans une période difficile à partir des années 1980.


C’est à cette époque qu’Huberte rencontre ses cousins Marc et Françoise Roché à l’occasion d’une réunion familiale.

Au tournant du Millénaire, la Maison est sur le point de s’arrêter. Les trois soeurs ont plus de 80 ans et n’ont que peu fabriqué au cours de la dernière décennie. C’est à bout de bras qu’Huberte maintient l’atelier en activité. Les stocks de pastels sont au plus bas, et il devient urgent de trouver quelqu’un pour reprendre la maison, sans quoi l’héritage de la Maison risque d’être perdu à jamais. Huberte fait alors appel à Marc et Françoise, qui commencent à effectuer quelques livraisons aux artistes.


2000 - 2011 : Isabelle Roché relance la Maison


En 1999, Isabelle Roché, fille de Marc et Françoise, est une jeune ingénieur travaillant dans l’industrie pétrolière. Elle est témoin pendant plusieurs mois des échanges entre ses parents et Huberte, qui cherchent un moyen de permettre a l’entreprise de perdurer. Fascinée par l’aventure de la Maison du Pastel, et émerveillée par la variété et la qualité des couleurs, il lui apparaît comme une évidence que sa voie est de travailler à la sauvegarde de ce patrimoine exceptionnel.

Le décès d’Huberte en novembre 1999 laisse la Maison sans véritable dirigeant, et ses deux sœurs sont avides de transmettre leur savoir faire. Isabelle décide alors de quitter son ancien métier dans l’industrie pétrolière, et reprend La Maison du Pastel officiellement en mai 2000.

Les quelques artistes toujours fidèles à la Maison en grand manque de couleurs. Soutenue par ces derniers, et grâce aux conseils de Denise et l’aide précieuse de son père à l’atelier, Isabelle relance en 2 ans environ 300 nuances. La collection augmente peu à peu jusqu’a offrir 567 nuances aux artistes en 2007.


Jusqu’en 2010, Isabelle reste seule à l’atelier et aux commandes de la Maison. Gisèle est décédée en 2003, mais Denise, même si elle ne met plus les pieds à l’atelier, s’intéresse toujours de près au sort des pastels Roché. Isabelle ne peut gérer à elle seule plus de 567 nuances, et rêve de pouvoir partager son métier, mais les ventes de pastels lui permettent à peine de se rémunérer, et il ne lui paraît pas envisageable d’embaucher une autre personne dans ces conditions.


2011 - aujourd’hui : de nouveaux horizons

L’été 2010, elle prend en stage une jeune étudiante américaine, Margaret Zayer, qui lors de son séjour a le sentiment d’avoir trouvé sa place. Après deux nouveaux stages le temps de terminer ses études, et une fois son diplôme en poche, elle arrive définitivement en France en juillet 2011.

Fortes d’une énergie renouvelée, Isabelle et Margaret se lancent sur une trajectoire ambitieuse de développement, cherchant à rendre les pastels Roché plus attirants et plus abordables. C’est ainsi qu’en 2012 naissent les “Petits Roché”, une gamme inédite d’assortiments de demi-bâtons.

Avec Margaret en charge du développement de nouveaux produit, elles continuent de relancer les gammes de la collection historique des 1650 nuances, tout en ajoutant leurs propres créations inspirées de la nature (3340 Pavot de Californie, 5760 Mers du Sud) ou des archives de la Maison (2970 Sang de Dragon, 4270 Jaune Indien) .

Dans la lignée de leurs prédécesseurs, elles n’hésitent pas à s’approprier les pigments modernes, ajoutant à leurs nouvelles créations une somptueuse gamme de couleurs irisées. En parallèle, elles développent une édition limitée de Petits Roché fabriqués à partir de pigments naturels.

Derrière leurs efforts se niche l’ambition de redonner à la Maison tout son lustre d’antan, ayant à cœur de pouvoir fournir à tout artiste entrant dans la boutique la qualité attendue et la couleur désirée. Aujourd’hui, plus de 1800 nuances sont ainsi disponibles, la gamme de pastels la plus étendue qui ait jamais existé.